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Ca va mieux en le disant !
10 mai 2012

UNE "VRAIE" CHOMEUSE : 31 ANS, BAC+8

Son nom ? «Symptôme». A trente et un ans, elle se dit aussi «chômeuse», «ex-universitaire» et «future rien du tout». Cette surdiplômée précaire, dont «Marianne.fr» publie la tribune, exprime colère et dégoût à sa manière.


"En vingt mois, j’ai répondu à une bonne centaine d’offres d’emploi et adressé le même nombre de candidatures spontanées. Attention, je ne dis pas seulement que je ne trouve pas de travail : je jure que sur ces plus de deux cents courriers, deux seulement ont donné lieu à un entretien.

Je sais ce que vous pensez : c’est très dur, surtout en ce moment, pour les jeunes et pour les personnes sans qualification. Il me faut alors fournir les données complètes du problème : 31 ans, bac + 8.

Formation en sciences humaines
Le drame initial, je le connais depuis un moment : je suis littéraire. Depuis le choix de mon bac, on me rabâche que « ça va être compliqué... » Depuis plusieurs années, on m’explique aussi dans les dîners en ville qu’on « va avoir besoin de gens comme moi ». Parce que les cadres ne savent plus ni lire ni écrire, parce que les formations techniques négligent la question de l’expression, etc. Mais ces ingénieurs, managers et consultants qui se réjouissent dans les soirées mondaines de l’existence des littéraires n’ont jamais le cran de les recruter.

Docteur
J’ai aggravé mon cas en soutenant une thèse. Un diplôme dont on dit souvent qu’il est mal reconnu en France… Doux euphémisme. En sciences humaines, il est aussi et surtout méprisé. Les recruteurs se figurent le docteur ès lettres comme un étudiant attardé n’ayant d’autres passions que les bibliothèques obscures, les livres poussiéreux et les questions pointues dont l’énoncé prête à rire.

Depuis deux ans que je cherche du travail à l’extérieur de l’université, personne ne s’est avisé que la recherche est un exercice qui forme l’esprit à raisonner droit, à être autonome, à circonscrire les bonnes questions, à trouver l’information et à la mettre en forme. Personne ne s’est avisé que l’enseignement donne une précieuse maîtrise de la communication orale et des dynamiques de groupe.

Réflexion du directeur éditorial d’une maison germano-pratine, a priori, donc, un homme de lettres : « Votre diplôme en littérature, tout ce qu’il prouve, c’est que vous aimez la littérature… Bon, dans ce milieu, vous n’êtes pas la seule. »

Mes recherches en histoire, en dramaturgie, en théologie et en histoire des idées politiques, mes 580 pages d’analyse structurée, rédigées en bon français ? Un goût pour la lecture, rien de plus.

Pas de master « pro » et pas « d’expérience »
Depuis plusieurs années, la mode est à la professionnalisation de l’université. Il ne vient à l’idée de personne que ce n’est pas à l’université de se transformer en grande école, mais au milieu du travail d’admettre que l’exercice universitaire est une formation. Partout, donc, on m’objecte mon manque de « master pro ». Il faudrait montrer un diplôme sur lequel est écrit l’intitulé du poste à pourvoir. Un autre directeur éditorial – chez qui j’étais en stage en donnant entière satisfaction… – m’a remise à ma place : « Ça va être très dur de vous vendre : vous n’avez pas le master. » Non, certes… J’ai le diplôme au-dessus : qui peut le plus peut le moins, non ? Apparemment, non.

Je m’occupe de théâtre depuis plus de treize ans, mais les collectivités qui recrutent des chargées de missions en spectacle vivant me demandent un master de management culturel. Un magazine qui cherchait un rédacteur m’a annoncé que mon parcours était intéressant et ma légitimité avérée mais… qu’il cherchait quelqu’un qui a fait une « école ». Et la palme revient sans doute à la directrice de lycée qui m’a expliqué le plus sérieusement du monde qu’ayant eu mon bac en 1999, ayant enseigné à la fac, fréquentant des lycéens dans les associations et ayant participé à l’édition des manuels de français chez le leader du marché, je n’avais pas « la moindre idée de ce qu’est l’enseignement secondaire aujourd’hui ».

Profil « atypique »
J’en conviens, j’ai une grande part de responsabilité dans ces mésaventures : mon profil paraît flou. Trop diversifié. Formation de comédienne, metteur en scène et prof de théâtre, études en théologie et histoire de l’art, qualifiée maître de conférences. Après la soutenance, anticipant la difficulté, j’ai amorcé une reconversion et profité des derniers mois de carte d’étudiant pour faire un stage dans une maison d’édition. J’estime y avoir mis du mien : diplôme en poche, une semaine après la soutenance et un mois après avoir dispensé mon dernier cours magistral, j’ai fait des photocopies pour 400 euros par mois… Depuis, en espérant trouver un poste, j’accomplis des missions en free-lance avec le statut bâtard d’auto-entrepreneur. J’enseigne dans un CFA, je donne des conférences dans un établissement public. Je bricole, je me débrouille, je me démène, je me disperse. Mais cette diversité n’est manifestement ni intéressante, ni méritante : pour les recruteurs, elle est simplement « illisible ».

Bilan
Dans un mois, je ne pourrais plus cumuler le statut d’auto-entrepreneurs et l’allocation chômage. Or aujourd’hui, je ne peux me passer ni de l’un, ni de l’autre. On a été content de me trouver pendant ma thèse pour que je dispense des heures et des heures d’enseignement avec des contrats précaires et peu payés, mais les postes de maître de conférences se raréfient et nous sommes de plus en plus nombreux à rester sur le carreau, à accepter des vacations payées au lance-pierres et à participer aux colloques à nos frais pour « rester dans le circuit ».

Si je comprends les enjeux de ma situation, si elle est explicable détail par détail, le constat global n’en demeure pas moins insupportable : ayant fait la preuve par mon parcours de mes talents, et par mes activités de mon énergie et de mon adaptabilité, personne ne veut de moi. Je n’ai ni place dans la société, ni rôle dans le monde du travail, ni perspectives d’avenir.

L’Etat a investi sur mon cerveau, le contribuable a payé mes études… et aujourd’hui je suis une personne hautement diplômée qui ne fiche rien (et enrage). Mon métier ? Intellectuelle précaire. En quoi ça consiste ? A brader mon diplôme."

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