TRISTES ELITES MASCULINES FRANCAISES PRO-DSK

Jérôme Bourdon, directeur du département de communication de l'université de Tel-Aviv
 Article paru dans Le Monde du 26.05.11

   "La plupart des commentaires sur l'affaire Strauss-Kahn se sont limités au prisme national : comparaison entre les systèmes judiciaires français et américain, entre les cultures des deux pays, déploration (justifiée) du machisme inhérent à la société "française". Or, il s'agit au premier chef d'une affaire de genre, et à ce titre, elle déborde de beaucoup les sociétés française et américaine.

Ceux qui ont couru au secours de Dominique Strauss-Kahn sont bien sûr des membres des élites françaises, prêts à déplorer l'irrespect de la présomption d'innocence ! Mais ce sont surtout des hommes, aveugles à la possibilité d'actes de violence gravissimes de ce type par leur proche, prêts à crier à la manipulation ou à la provocation politique. Les rejoignent parfois la mère et l'épouse au secours de l'homme devenu la victime "qu'il n'est pas".

A ce titre, on n'en tirera rien à déplorer l'exhibitionnisme et le puritanisme (il s'agit, répétons-le, d'une accusation de viol) de la société américaine, ou le sexisme français. L'aveuglement d'autres pays à la violence masculine envers les femmes n'est pas moins grand. En Italie, toute l'affaire Berlusconi est présentée comme une affaire de morale, avec un ton bien "français" ou "latin", ou simplement masculin, pour en faire un libertinage sympathique ; or payer des femmes pour un acte sexuel, constitue aussi, dans l'immense majorité des cas, un acte de violence pour des femmes qui n'ont de choix que de se vendre. Les élites masculines se protègent. Les hommes aussi.

"LUTINAGE DE FEMME DE CHAMBRE"

"Harcèlement sexuel","viol", ne dites pas ces mots. Parlez, comme telle répugnante chronique passée sur France Culture, de "lutinage de femme de chambre". Et dans ce climat, la victime préfère souvent se taire pour n'être pas accusée de cette légèreté de moeurs qu'on va célébrer, justement, chez les hommes. Bien sûr, nationalisme et masculinisme font bon ménage, et ce n'est pas d'hier. Hommes et femmes de ce pays et d'autres devraient se rappeler que le féminisme a été, plus que tout autre, la grande cause cosmopolite du XXe siècle, et qu'il a encore un long chemin devant lui.

En Israël, où la violence politique est là, un petit événement singulier s'est produit dans une démocratie ethnique où les juifs jouissent de privilèges incontestés : des trois juges qui ont condamné le 30 décembre 2010 pour viol le président Moshe Katsav, juif, il y avait deux femmes (juives) et un homme (arabe). Le fait a été peu noté. Pouvoir des juges ? Ou jugement cosmopolite justement, respectueux, dans ce cas, de cette forme d'égalité de traitement qui fait partout défaut, elle : entre hommes et femmes (mais peut-être moins que dans ce système judiciaire américain exhibitionniste, mais plus égalitaire que le français) ?

Souhaitons que, là-bas, les juges (peut-être pas tous blancs, et pas tous des hommes) sachent apprécier l'accusation contre un haut fonctionnaire international français soutenue par une émigrée guinéenne aux Etats-Unis, au-delà des questions de nations et de statut social : en se rappelant qu'il s'agirait d'un seul, parmi des millions, de graves actes de violence commis chaque année par les hommes envers les femmes."